Par: Nathan Deboer
Publié: 10/07/2025


Introduction

Alors que je traversais la campagne du Malawi avec un de mes collègues, je n’ai pu m’empêcher de constater à quel point les champs étaient secs et sans vie. Partout où je regardais, la terre était aride et épuisée, et les agriculteurs des environs n’avaient plus beaucoup d’espoir.

Nous avons discuté avec plusieurs agriculteurs ce jour-là, mais une femme s’est démarquée. Elle nous a confié avoir abandonné son lopin de terre d’environ 30 m sur 40 m à côté de la maison. Plus rien n’y poussait, même avec des engrais chimiques. Son plan était de la laisser en jachère pendant quelques années en espérant des jours meilleurs.

Cette conversation a ouvert la voie. Je lui ai présenté l’idée que la restauration des sols est possible – non pas en quelques décennies comme dans la forêt, mais en quelques saisons – grâce à des systèmes naturels inspirés de la forêt. Elle était prête à essayer. Nous avons commencé avec Gliricidia sepium et un simple transfert de biomasse2 pour la motiver. La deuxième année, elle a ajouté le lablab (Lablab purpureus). À peine 12 mois plus tard, après sa première récolte de maïs, la différence était visible. Ce succès lui a donné la confiance et l’enthousiasme nécessaires pour continuer.

2 Elle a utilisé la biomasse de feuilles de gliricidia provenant d’arbres adjacents à son champ pour fertiliser la terre jusqu’à ce que les arbres plantés directement dans son champ soient assez matures pour que les résidus d’élagage puissent être ajoutés directement au champ.

Contexte et besoins

Dans le sud du Malawi, la plupart des petits exploitants agricoles exploitent moins d’un acre de terre et dépendent souvent entièrement du maïs ou d’une autre céréale pour nourrir leur famille. L’agriculture est en grande partie de subsistance et la pression foncière est énorme. Des années de cultures continues et de perturbation des sols sans mesures de conservation ont entraîné une érosion et une dégradation importantes. Une étude récente estime que 30 tonnes de terre végétale par hectare sont perdues chaque saison – une perte colossale qui a poussé certains agriculteurs à abandonner complètement leurs terres  (Chinseu, 2021; Troosters et al., 2024).

Il ne reste souvent que le sous-sol et de l’argile, qui peinent à soutenir des cultures saines, même avec l’application d’engrais. Les agriculteurs constatent de visu que les engrais chimiques seuls ne sont plus efficaces. Parallèlement, le compostage, bien que largement encouragé, est exigeant en main-d’œuvre, coûteux et souvent peu pratique en raison du manque de matières organiques, du faible rendement perçu et de la quantité nécessaire pour obtenir des cultures saines. Dans de nombreuses régions, le pâturage libre du bétail rend la couverture des sols en saison sèche quasiment impossible sans clôtures ni réglementations, rarement appliquées.

Au cœur de la crise se trouve la matière organique, notre éponge du sol : sa perte et l’urgence de la reconstituer. Et le moyen le plus pratique d’y parvenir, surtout pour les agriculteurs à faibles ressources, est de la cultiver eux-mêmes, dans le champ même où ils cultivent leurs cultures (Lal, 2015).

C’est là que les systèmes d’engrais verts/cultures de couverture (EV/CC) entrent en jeu. En intercalant des légumineuses annuelles à croissance rapide et des arbres, comme le gliricidia, le lablab ou le pois d’Angole (Cajanus cajan), les agriculteurs peuvent reconstituer la matière organique, améliorer la fertilité des sols, éliminer les mauvaises herbes, produire du bois de chauffe et davantage de nourriture, entre autres avantages, sur la même superficie de terre. Lorsqu’elle est conçue en adéquation avec leurs défis et leurs aspirations, cette approche a du sens, et les agriculteurs sont prêts à cultiver des cultures de couverture.

Dans notre région, des centaines d’agriculteurs ont désormais adopté le gliricida/les EVCC et des systèmes régénératifs similaires. Certains signalent déjà avoir éliminé le recours aux engrais chimiques et même au compost, en s’appuyant uniquement sur la biomasse d’arbres comme le gliricidia. Nous constatons que ces systèmes se propagent d’un village à l’autre, portés par le bouche-à-oreille et leurs effets visibles.

Description du système

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Figure 3. Système de diagrammes  avec arbres (cercles verts) et cultures céréalières (cercles jaunes). Source : Nathan Deboer, droits réservés
 

Ce système régénératif a été testé auprès d’une agricultrice dont la terres était devenue quasiment inutilisable en raison d’un compactage extrême (résistance à la pénétration comprise entre 1,73 et 3,45 Mp [250-500 psi]) et de la dégradation des sols due à l’impact des gouttes de pluie, à l’érosion et au labour. De nombreuses régions du Malawi connaissent des conditions similaires. Notre objectif était de mettre en place un processus régénératif qui l’aiderait à restaurer la fertilité du sol grâce à des méthodes accessibles et évolutives.

Explication étape par étape

Comprendre le problème et se l’approprier

Nous avons commencé par expliquer à l’agricultrice les causes profondes de l’état de sa terre: l’érosion et la surexploitation. Il était important de présenter cela non pas comme une malédiction extérieure ou les mystères du changement climatique, mais comme une conséquence de l’ignorance qui pouvait être inversée et corrigée par la connaissance et l’action.

Formation et orientation

Nous avons organisé une petite formation communautaire, en utilisant des photos et des exemples concrets pour présenter des principes de régénération tels que les racines vivantes et la production intensive de biomasse. L’agricultrice a réuni ses voisins, et nous avons gardé les choses informelles mais ciblées.

Mise en place de la pépinière

Nous avons fourni des semences de gliricidia, des tubes de pépinière et une formation de base. La pépinière a démarré environ 3 mois avant le début habituel des pluies (vers septembre au Malawi). Nous avons insisté sur un arrosage régulier et un suivi pour garantir la germination et le succès des semis.

Préparation du terrain et plantation des arbres

Une fois les semis prêts, nous avons organisé une autre formation pour préparer les stations de plantation. Les agriculteurs ont utilisé des houes et des repères corporels pour espacer les stations de plantation de céréales d’environ 75 cm en rangs, d’environ 50 cm en ligne (figure 3) et d’environ 15 cm de profondeur. Nous avons placé une grosse poignée de feuilles de gliricidia dans chaque trou, enfouies sous 5 cm de terre. Les feuilles ont été ajoutées 2 à 3 semaines avant la plantation.

Gestion du Gliricidia

Les arbres ont été plantés à 3 m d’intervalle (Figure 3). Nous avons expliqué la différence entre l’étêtage et le recépage,3 en recommandant l’étêtage au-dessus de la hauteur de la tête pour des considérations liées à l’ombre, à l’espace et à la concurrence. La gestion initiale comprenait la taille des branches horizontales et la formation de l’arbre pour réguler l’ombre et favoriser la croissance de la biomasse.

3Dans ce contexte, l’étêtage consiste à encourager les agriculteurs à tailler les arbres au-dessus de la tête (environ 1,5 à 2 m), afin que l’arbre n’interfère pas avec les cultures tout en produisant de la biomasse aérienne et de l’ombre. Cette approche fonctionne bien avec un espacement standard (par exemple 3 x 3 m). Contrairement à l’étêtage traditionnel, où toutes les branches latérales sont coupées, nous recommandons aux agriculteurs de laisser plusieurs branches stratégiques pour fournir une ombre tachetée et une photosynthèse soutenue. Le recépage, en revanche, consiste à couper l’arbre au ras du sol (environ 50 cm ou à hauteur de genou), ce qui provoque la formation de nombreuses nouvelles tiges. Cette méthode est plus intensive et plus adaptée aux arbres plantés de manière plus rapprochée les uns des autres, comme dans les champs irrigués ou les parcelles à forte densité, mais nécessite une taille soignée pour éviter trop d’ombre ou de concurrence. En fonction de l’espacement des arbres et des objectifs de gestion, les agriculteurs peuvent combiner ces méthodes sur une même parcelle.

Transfert de biomasse durant la première année

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Figure 4. Première saison avec transfert de biomasse (le maïs a été fertilisé avec des feuilles de gliricidia provenant d’une parcelle adjacente). Les gliricidia représentés en A n’ont pas été taillés cette saison. En B, on voit des feuilles en préparation pour l’épandage. Source : Nathan Deboer, droits réservés

Comme l’agricultrice ne disposait pas d’arbres établis, nous avons utilisé le transfert de biomasse des arbres de Gliricidia avoisinants durant la première saison de culture (Figure 4). Cela a permis de maintenir sa motivation en attendant que ses arbres parviennent à la maturité.

Culture intercalaire avec le lablab

Lors de la deuxième saison, elle a cultivé le lablab de manière intercalaire (Figure 5), ce qui a amélioré la fixation de l’azote, apporté un paillis vivant et ajouté une autre culture récoltable. Nous l’avons également formée à intégrer les feuilles de lablab dans sa cuisine . Cependant, la pression exercée par le bétail constituait une difficulté, surtout en saison sèche.

Utilisation continue et mise à l’échelle

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Figure 5. Deuxième saison après la récolte du maïs. Le lablab commence à s’étendre et à recouvrir la parcelle. Source : Nathan Deboer, droits réservés

Dès la deuxième année, l’agricultrice produisait environ 75 % de ses besoins en azote à partir de ses propres arbres. Elle a pu tailler et utiliser les feuilles directement dans les stations de plantation et en couverture. Elle a comblé les espaces vides avec de nouveaux semis et a commencé à inspirer d’autres agriculteurs autour d’elle.

Matériel ou préparation nécessaire

  • Graines ou boutures de Gliricidia sepium
  • Graines de Lablab
  • Tubes de pépinière
  • Source d’eau pour les semis
  • Houes ou outils de bêchage pour les stations de plantation

Défis et ajustements

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    Figure 6. Deuxième saison : stations de plantation et arbres non taillés. Source : Nathan Deboer, droits réservés

    Mortalité des arbres : Certains semis n’ont pas survécu et ont été remplacés la deuxième année.
  • Pression due au bétail : Les chèvres broutaient le lablab pendant la saison sèche.
  • Besoin initial en main-d’œuvre : Des visites et un suivi réguliers étaient essentiels à la réussite.
  • Complexité de la gestion : Les arbres plantés de manière dense nécessitaient une taille soignée (Figure 6).
  • Changements de mentalité : L’agricultrice avait besoin d’explications approfondies et de temps pour comprendre et se motiver à prendre le risque d’essayer quelque chose de nouveau et d’inconnu.

Malgré cela, l’agricultrice a réussi le premier pas vers la restauration de sa terre. Son rendement s’est amélioré, ses voisins l’ont remarqué et le système se développe désormais en agriculture biologique.

Résultats et impact

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Figure 7. Résultats du transfert de biomasse de la première année. À gauche (sa main droite) : un épi de maïs de la parcelle témoin et à droite (dans sa main gauche): un épi de maïs issu des deux applications de feuilles de gliricidia. Source : Nathan Deboer, droits réservés

Nous avons constaté des améliorations notables de la croissance des plantes, de la fertilité du sol et de la rentabilité de l’agricultrice. En 24 mois, l’agricultrice était capable de produire suffisamment d’azote pour couvrir 75 % des besoins de ses cultures avec les seules feuilles de gliricidia – un avantage majeur dans un contexte où les engrais sont souvent coûteux ou indisponibles. Grâce à la poursuite de la plantation régulière et à l’incorporation de biomasse, elle a également maintenu, voire amélioré, la fertilité année après année (Figure 7).

Mais au-delà de la transformation physique, nous avons constaté un profond changement émotionnel. Elle avait retrouvé espoir. Son enthousiasme était visible, et un tel enthousiasme est contagieux. Sans aucune incitation formelle, elle et quelques voisins ont formé ce qu’ils ont appelé un « Club d’innovation ». Ils ont été inspirés à expérimenter, à partager leurs résultats et à se soutenir mutuellement dans la poursuite des pratiques régénératrices. Cette action spontanée était pour nous un signe fort que la technique fonctionnait, non seulement sur le plan agronomique, mais aussi sur les plans social et psychologique.

Bien sûr, des défis subsistaient. Rien de valable ne se fait sans effort. C’est pourquoi nous commençons toujours par aider les agriculteurs à comprendre le problème à long terme et à définir des objectifs réalistes. La régénération demande du temps et de la patience, et il n’existe pas de solution miracle. Mais plus nous travaillons dur et avec créativité, plus vite nous en verrons les fruits, et plus ces fruits seront importants.

Une partie de notre travail consiste à aider les agriculteurs à retrouver le plaisir de l’agriculture. Car si tout le monde au village cultive, tout le monde n’aime pas l’agriculture. Notre objectif est de trouver et de responsabiliser ceux qui voient l’agriculture comme plus qu’une simple question de survie – ceux qui sont émerveillés par le miracle d’une graine qui meurt et ressuscite pour produire de la nourriture. Ce sont eux qui feront progresser ces systèmes, qui les diffuseront, les amélioreront et qui méritent qu’on investisse en eux.

Conclusion

L’un des principaux enseignements que nous avons tirés est que les agriculteurs doivent d’abord comprendre l’origine du problème : comment l’infertilité des sols s’est développée et comment y remédier. Une fois qu’ils ont compris qu’ils peuvent cultiver leur propre matière organique, reconstituer leurs sols et conserver un paillis vivant toute l’année, un déclic se produit. Le concept selon lequel le sol est vivant — et que le sol vivant est notre gagne-pain — est simple, mais profondément transformateur.

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Figure 8. Système EV/CC de niveau 1 à maturité. Ces arbres étaient dans un système de recépage et, une fois que les gestionnaires ont appris l’étêtage, ils ont décidé de passer à la culture en alternance. Ils ont indiqué qu’ils aimaient travailler dans un champ légèrement ombragé. Source : Nathan Deboer, droits réservés

C’est pourquoi nous avons créé notre système EV/CC de niveau 1 (figure 8). Il est délibérément simple : une seule espèce intercalaire, comme le gliricidia, facile à implanter, produisant une biomasse intense et servant à de multiples usages. Auparavant, nous submergions les agriculteurs avec trop de choses. Aujourd’hui, nous commençons petit et nous développons à partir de là.

À tous ceux qui envisagent ce système : essayez-le. Commencez avec une espèce adaptée à votre environnement. Adaptez-la selon vos besoins : l’altitude, les régimes pluviométriques et les préférences culturales sont tous importants. Mais au fond, les systèmes EV/CC constituent une solution viable et évolutive à la crise de fertilité actuelle à laquelle font face les petits exploitants agricoles (Bunch et le personnel de ECHO, 1985).

Ne considérez pas ceci comme un simple amendement du sol. Considérez-le comme une porte d’entrée vers l’agroforesterie, la sécurité alimentaire, le désherbage et la résilience climatique. Surtout, adoptez un état d’esprit propice à l’expérimentation. Attendez-vous à l’échec et utilisez-le comme un tremplin vers une prospérité durable.

Références

Bunch, R. et ECHO Staff. 1985. “Green Manure/Cover Crops” « Engrais verts/Cultures de couverture ». ECHO Technical Note no. 10. 

Lal, Rattan. 2015. “Restoring Soil Quality to Mitigate Soil Degradation” « Restaurer la qualité des sols pour atténuer leur dégradation ». Sustainability, 7(5), 5875–5895.

Chinseu, E., H. Mloza-Banda, et M. Mwale. 2021. “Soil degradation and smallholder farmers’ adaptive strategies in southern Malawi” « Dégradation des sols et stratégies d’adaptation des petits exploitants agricoles dans le sud du Malawi ». Malawi Journal of Agriculture.

Troosters, W., G. Heinrich, L. Pearson, L. Chiwaula, et W.J. Burke. 2024. “The Economic and Social Cost of Land and Soil Degradation in Malawi”« Le coût économique et social de la dégradation des terres et des sols au Malawi ». Catholic Relief Services. Note d’orientation de MwAPATA. no. 29. https://www.crs.org/sites/default/files/pb29_mw_cost_of_land_degradation.pdf