Par: Robert D. Harter, Ph.D
Publié: 01/01/2002


TN 48 Title PictureDans les régions tropicales humides, les risques d'acidification du sol sont élevés

L’acidification du sol est un processus naturel ayant  'importants effets sur la croissance des plantes. À mesure que  de sol devient de plus en plus acide, particulièrement lorsque le pH descend en-dessous de 4,5, il est de plus en plus difficile de produire des cultures vivrières. Lorsque le pH descend, l’approvisionnement de la plupart des nutriments des végétaux diminue alors que l’aluminium et quelques micronutriments deviennent solubles et toxiques pour les plantes. Ces problèmes sont particulièrement aigus dans les régions tropicales humides dont les sols ont été très altérés par les éléments. Selon Sanchez et Logan (1992), par exemple, un tiers des tropiques, soit 1,7 milliards d’hectares de terres, sont suffisamment acides pour que l’aluminium soluble soit toxique pour la plupart des plantes vivrières. Dans la présente note, nous examinons quelques-unes des causes de l’acidification et décrivons certains des résultats prévus tant de l'acidification que de la pratique du chaulage pour neutraliser l'acide.

Quelles sont les Causes de l'Acidification des Sols?

Le concept de l’acidité est un des premiers principes de la chimie enseignés dans les cours de sciences de base à l’école. Les enfants apprennent qu'un pH de 7,0 représente la neutralité, qu’un pH plus élevé indique un état alcalin et qu’un pH en-dessous de 7,0, un état acide. Les milieux très alcalins et très acides nuisent généralement à la vie des plantes. Ces affirmations sont indéniables mais même dans un milieu neutre, certaines réactions chimiques se produisent spontanément. On s’inquiète des pluies acides mais presque toute pluie est acide. La pluie pure est rien d’autre que de l’eau distillée, et le pH de l’eau distillée en équilibre avec l’atmosphère est d’environ 5,6 en raison de la réaction du dioxyde de carbone (CO2) avec l’eau.

H2O + CO2 = H2CO3 = H+ + HCO3- = 2H+ + CO3

Lorsque l’eau pure est en équilibre avec le dioxyde de carbone de l’atmosphère, la concentration d’ions d’hydrogène (H+) pousse le pH à 5,6, la valeur indiquée ci-dessus. Les plantes produisent également du dioxyde de carbone lorsqu’elles respirent et durant les périodes de croissance active, leurs racines peuvent accroître la concentration de dioxyde de carbone à plusieurs fois celle de l’atmosphère. Il en résulte une augmentation de la quantité de dioxyde de carbone dissoute dans l’eau du sol et ainsi une acidité plus élevée, c'est-à-dire un pH plus bas. Cependant, le dioxyde de carbone n’est pas la seule source d’ions d’hydrogène dans le sol. Dans les sols cultivés, les engrais peuvent devenir une importante source d’ions d’hydrogène. Les engrais modernes contiennent généralement de l’ammonium (NH4+) en tant que source de nitrogène, mais la conversion éventuelle de l’ammonium en nitrate (NO3-) comporte la libération d’ions d’hydrogène.

NH4+ + 2O2 = NO3- + 2H+ + H2

En d’autres mots, deux ions d’hydrogène sont créés lors de la conversion d’un ion d’ammonium en nitrate.

L’urée est un engrais de nitrogène populaire qui, dans un sol dont le pH est inférieur à 6,3, est décomposée comme suit :

CO(NH2)2 + 2H+ + 2H2O  = 2NH4+ + H2CO3

En d’autres mots, deux ions d’hydrogène sont consommés lors de la décomposition d’une molécule d’urée. Cela tend à accroître le pH du sol environnant, mais l’ion d’ammonium est ensuite converti en nitrate conformément à la formulation indiquée ci-dessus, avec quatre ions d’hydrogène libérés par les deux ions d’ammonium. Ainsi, même si le pH peut augmenter à court terme lorsque l’urée est appliquée, l’ensemble des réactions ont comme effet d’acidifier le sol. (Si le pH du sol est supérieur à 6,3, la réaction est similaire, et l’augmentation à court terme du pH peut causer une perte d’ammonium par volatilisation).

Même si le phosphate monocalcique [Ca(H2PO4)2], souvent utilisé dans les formulations d’engrais, acidifie moins que l’ammonium, il peut également être un facteur d’acidification. Il réagit avec l’eau pour former le phosphate bicalcique (CaHPO4) et l’acide phosphorique (H3PO4).

Ca(H2PO4)2 + H2O  =  CaHPO4 + H3PO4

L’acide phosphorique libère peu à peu les ions d’hydrogène dans le sol à mesure que le pH augmente de 3,0 à plus de 7,0.

H3PO4 = H+ + H2PO4- = 2H+ + HPO42- = 3H+ + PO43-

En général, le troisième ion d’hydrogène est perdu seulement lorsque le pH est supérieur à la neutralité, de sorte qu’il n’est habituellement pas un facteur d’acidification. Cependant, comme deux des trois ions d’hydrogène sont facilement perdus dans les sols acides, ils constituent un facteur d'acidification. Les engrais phosphoreux sont généralement déposés dans une zone ou bande étroite parallèle à une rangée de plantes. Étant donné que le H3PO4 a tendance à libérer une partie de ses ions d’hydrogène, le pH du sol dans ces bandes peut être très bas. Cette acidité s’étendra graduellement dans le  sol autour de cette bande. Selon Lindsay et Stephenson (1959), on a déjà observé un pH de seulement 1,5 dans la zone immédiatement autour d’une bande d’engrais.

Toutes les réactions de ce type ont comme effet secondaire de libérer des ions d’hydrogène dans le sol et sont donc acidifiantes. Une des réactions d’acidification inorganique les plus importantes est l’oxydation du soufre. En fait, le soufre est normalement utilisé si le pH du sol est plus élevé que désiré et qu’il faut réduire le pH. Il y a des milieux, comme les aires de déblais miniers et de bonification de mangroves, qui ont une teneur naturellement élevée en soufre et où l’acidification constitue un problème majeur. Par exemple, si de la pyrite est présente, la réaction

2FeS2 + 6H2O + 7O2  = 4SO42- + 8H+ + 2Fe(OH)2

se produit facilement et produit 2 ions d’hydrogène par ion de soufre oxydé.  Jusqu’à   300 cmol (H+) kg-1 (1 cmol est égal à 0,01 de masse moléculaire relative) de H2SO4 libre ont été rapportés (Thomas et Hargrove, 1984). Pour donner une idée, 300 cmol (H+) kg-1 est de 10 à 30 fois supérieur à la charge négative généralement mesurée dans les sols. Par conséquent, les particules de la plupart des sols ne possèdent pas une charge négative suffisante pour attirer tous les ions d’hydrogène à leur surface. Les ions d’hydrogène libres restants dans la solution du sol réduisent le pH du sol. Ainsi, si une source abondante d'amendement calcaire n’est pas disponible, le pH du sol peut atteindre une valeur très faible, comme il a été rapporté dans le cas de marais de mangrove drainés en Afrique.

De nombreuses formes de matière organique peuvent également être acidifiantes, selon le type de plante dont la matière organique est dérivée. Certaines plantes contiennent d'importantes quantités d'acides organiques. Lorsque leurs résidus sont décomposés, les acides organiques influent naturellement sur l'acidité du sol. D’autres plantes sont acidifiantes simplement parce qu’elles contiennent de faibles concentrations de bases. Si la plante ne contient pas suffisamment de bases pour satisfaire aux besoins des microbes, la décomposition des résidus de plante produira du dioxyde de carbone et extraira des nutriments basiques du sol comme le calcium et le magnésium.

Même la croissance des plantes contribue à l’acidification ; un important processus d’assimilation des nutriments consiste à échanger des ions d’hydrogène à la surface des racines pour des cations basiques (ions chargés positivement) comme le calcium, le magnésium et le potassium. Les légumineuses sont particulièrement acidifiantes parce qu’elles assimilent plus de cations comparativement aux anions (ions chargés négativement) que les plantes non légumineuses. Elles absorbent une faible quantité de nitrates dans le sol parce que la majeure partie de leurs besoins en nitrogène est comblée par la fixation de nitrogène microbien, un élément de la structure de la plante. Dans le  cas des plantes non légumineuses, l’absorption de nitrate compense partiellement l’assimilation de cations basiques (par exemple, Ca2+, Mg2+ et K+), de sorte que moins d’hydrogène est échangé dans les racines pour obtenir ces nutriments.

Les pluies acides contribuent également à l’acidification, mais étant donné tous les autres processus en cours dans le sol, la contribution des pluies acides est mineure sauf dans le cas des sols plus sensibles comme les sables acides ayant une capacité d’échange de cations très faible. En général, les sols tropicaux ont une teneur élevée en sesquioxydes1 et sont déjà très acides de sorte que la contribution des précipitations acides n’a qu’un effet minime sur le pH. (Note : ce point vaut seulement pour le sol car de nombreuses plantes sont assez sensibles aux pluies acides.)

Le Tableau 1 présente un résumé des causes de l’acidité du sol décrites ci-dessus :

Tableau 1. Processus qui contribuent à accroître la quantité d’ions d’hydrogène (H+dans des solutions de sol, et à créer des conditions plus acides.

Source d’ions d’hydrogène Réaction
Dioxyde de carbone H2O + CO2 = H2CO3 = H+ + HCO3- = 2H+ + CO3-
Ammonium NH4+ + 2O2 = NO3- + 2H+ + H2O
Engrais phosphoreux Ca(H2PO4)2 + H2O = CaHPO4 + H3PO4
H3PO4 = H+ + H2PO4- = 2H+ + HPO42- = 3H+ + PO43-
Pyrite (fer/soufre) 2FeS2 + ­6H2O + 7O2 = 4SO42- + 8H+ + 2Fe(OH)2
Matière organique Processus de décomposition

Assimilation de nutriments par les racines de plante

Libération de H+ en échange de cations de nutriments

Pluie acide

Réaction dans l’atmosphère entre l’eau et des polluants

Rapports Entre le pH et l'Aluminium

Lorsque le pH est supérieur à environ 5,5, la capacité du sol à tamponner2 les modifications du pH dépend de la quantité de calcium disponible. Toutefois, lorsque le pH atteint 5,5, la majeure partie du calcium présent dans le sol a habituellement été épuisée. Ainsi, lorsque le pH est inférieur à 5,5, d’autres éléments présents dans le sol doivent jouer ce rôle de tampon. Et justement, la quantité d’aluminium dans la plupart des sols est suffisante pour que cet ion joue ce rôle lorsque le pH est sous 5,5. Dans les réactions dites « d’hydrolyse », les composés d’aluminium [Al(OH)3, par exemple] - lorsque le pH est à un niveau approprié - réagissent avec les ions d’hydrogène pour libérer l’aluminium. Bien qu’il y ait plusieurs réactions intermédiaires, la  réaction tampon globale est :

Al(OH)3 + 3H+ = Al3+ + 3H2O

En d’autres mots, pour chaque ion d’aluminium, trois ions d’hydrogène peuvent être « consommés » de sorte que le pH change à un rythme très lent par rapport aux réactions d’acidification. Mais ce processus comporte un problème sérieux : l’hydroxyde d’aluminium est sous forme solide et lorsque les ions d’hydrogène y sont ajoutés, il passe à une forme liquide. L’aluminium dans une phase solide est un élément normal de tous les sols et est bénin ou même bénéfique, mais en solution, il peut devenir toxique pour les plantes. De plus, en solution, l'aluminium peut s'infiltrer dans les sources d'eau superficielles et souterraines, où il peut être toxique pour les animaux (y compris les êtres humains) s’il se trouve à une concentration assez élevée. Aussi, l’aluminium libre remplace les ions de nutriment végétal comme le calcium, le magnésium et le potassium dans les couches de sol chargées négativement, en les déplaçant dans la solution du sol. À court terme, il peut rendre ces ions plus disponibles aux plantes, mais à long terme, il les rend susceptibles à leur extraction du sol par lixiviation.

Effets du Processus d'Acidification

Les sols portent généralement une charge négative à la surface des particules et ces surfaces attirent et retiennent les cations basiques chargés positivement comme le calcium, le manganèse, le potassium, le sodium et d’autres. À part quelques exceptions mineures, les particules du sol retiennent mieux les ions d’hydrogène que ces autres ions. Cela signifie que lorsqu’une des réactions d’acidification a pour effet d’augmenter la concentration d’ions d’hydrogène dans le sol, une partie des ions d’hydrogène déplace ces ions basiques, lesquels deviennent susceptibles à la lixiviation. Avec le temps, les sols bien drainés des régions humides deviennent assez acides et perdent leurs ions basiques si les bases ne sont pas remplacées par la nature ou les êtres humains. À mesure que ce processus se poursuit, la concentration d’hydrogène (H+) à la surface devient assez élevée pour que les structures minérales elles-mêmes soient attaquées et libèrent de la silice (Si4+), du (Fe3+), de l’aluminium (Al3+) ainsi que d’autres ions présents dans les minéraux. Alors que les ions de silice sont lessivés vers les couches plus profondes du sol, les ions de fer et d’aluminium libérés tendent à sortir de la solution du sol et à former des oxydes hydriques (sesquioxydes) qui demeurent dans le sol. À la fin, les oxydes hydriques d’aluminium et de fer amorphes3 et insolubles, ainsi que la kaolinite4, deviennent les solides dominants dans le sol.

Comme les sols tropicaux ont tendance à être très altérés par les éléments, les minéraux qu’ils recèlent ont tendance à avoir une faible capacité de rétention de nutriments. La plupart des minéraux ayant une charge négative significative, ou même tous ces minéraux, disparaissent sous l'effet des processus d’altération décrits ci-dessus, ce qui laisse la kaolinite4, qui a une charge très faible, comme minéral cristallin dominant dans les sols. Les matériaux amorphes non cristallins deviennent alors la principale source de charges négatives. Ces matériaux sont principalement les sesquioxydes formés durant le processus d’altération. Tel que noté ci-dessus, les oxydes d’aluminium commencent à se dissoudre lorsque le pH est d’environ 5,5. Si le pH diminue en dessous de 4,0, les ions d’aluminium libres dans la solution du sol augmentent à des niveaux toxiques pour de nombreuses plantes. La perte des charges négatives accompagnant la diminution du pH signifie également qu’il y a moins de sites d’adhérence disponibles aux cations de nutriments. Par ailleurs, à mesure que la concentration d’ions d’aluminium augmente dans la solution, ceux-ci livrent une forte concurrence aux autres cations pour les sites négatifs restants. Ainsi, alors que les rares minéraux contenant des nutriments encore présents dans le sol sont altérés, les nutriments basiques ont une forte tendance à être lessivés du sol au lieu d'être retenus dans des sites négatifs. L’altération des sols par les éléments est donc la principale raison pour laquelle de nombreux sols tropicaux ont une fertilité naturellement faible.

Un autre effet négatif de l’acidification des sols est la tendance du phosphore à cesser d’être disponible aux plantes. À mesure que l’aluminium et le fer sont libérés durant le processus d’acidification/d’altération, ils deviennent plus accessibles dans les sites d’échange de cations, en solution ou simplement sur les surfaces exposées. Ces deux ions réagissent spontanément avec le phosphate pour former des composés relativement insolubles dans un processus appelé fixation du phosphate. La fixation du phosphate constitue un problème difficile dans les sols tropicaux ayant une forte teneur en fer car l’« appétit » du fer pour le phosphate peut parfois devenir insatiable.

Solution au Problème

L’ajout d’écailles d’huître et d’autres matériaux semblables finement broyés est une pratique ancienne mentionnée dans les écrits de Cato, un auteur de l’ère romaine. Il était bien connu que l’amendement de tels matériaux produit de meilleures récoltes. Cependant, ce phénomène ne fut expliqué qu'au 19e siècle quand Edward Ruffin, un fermier de la Virginie, a argumenté avec raison que de telles pratiques réduisent l’acidité du sol. Les écailles et les sables coralliens broyés, s’ils sont disponibles, demeurent encore aujourd’hui des sources acceptables et peu coûteuses d’amendement calcaire.

La solution courante à l’acidité aujourd’hui consiste à ajouter du calcaire (CaCO3), s’il est disponible ; on peut aussi utiliser le CaO ou le Ca(OH)2 qui sont encore plus efficaces lorsque la situation économique du paysan le permet. Ces matériaux sont plus dispendieux que le calcaire mais leur coût d’expédition plus faible peut les rendre moins dispendieux si l’on tient compte de leur potentiel de neutralisation.

En agriculture de subsistance, cependant, il arrive souvent que l’achat d'amendements calcaires ne soit pas une option. La culture itinérante, souvent connue sous le nom de culture sur brûlis, constitue la stratégie agricole probablement la plus ancienne dans les tropiques humides. La forêt est habituellement coupée et brûlée, même si d'autres systèmes de défrichement sont également utilisés (Norman, 1979). Des cultures sont plantées et récoltées durant environ trois ans avant que le couvert forestier ne recommence à couvrir l’espace utilisé pour l’agriculture. La végétation à la surface du  sol constitue une source de nutriments principale dans les systèmes tropicaux humides. Ainsi, le feu permet de libérer des nutriments pour les cultures vivrières plantées dans la cendre. Le brûlage entraîne une diminution de l’acidité du sol ; les cations basiques comme le potassium (K+), le calcium (Ca2+) et le magnésium (Mg2+) rendent la cendre alcaline et, par conséquent, capable de neutraliser une partie de l’acidité du sol. La terre est semée avec une combinaison de plantes annuelles, biannuelles et pérennes, ces dernières étant des plantes qui peuvent pousser à l’ombre d’arbres plus âgés. Cette pratique culturale est durable uniquement si la période de jachère moyenne est suffisante pour que la communauté de plantes primaires puisse s’établir à nouveau – soit bien souvent au moins 20 ans.  Si le terrain est cultivé plus fréquemment, le sol devient de  plus en plus infertile et acide, car la végétation sub-climacique (initialement établie après le défrichage) ne rétablit pas aussi efficacement la matière organique, la fertilité et la structure du sol (Norman, 1979). La période de jachère est requise pour permettre à la végétation climacique d’accumuler les nutriments requis et pour établir les conditions chimiques et physiques associées.

Les os sont également une bonne source de calcium et peuvent être utilisés comme amendement calcaire sur un terrain aux dimensions réduites. Habituellement, les os sont bouillis pour en enlever toute la viande et pour les ramollir. Ils peuvent alors être facilement broyés et ensuite être amendés au sol. Les quantités d’os disponibles sont toutefois habituellement insuffisantes pour couvrir de grandes superficies.

Dans quelques milieux limités, d’autres matériaux comme les crasses ou les cendres volantes d’usines peuvent être disponibles. Ils ont généralement une capacité de neutralisation beaucoup plus faible mais ils peuvent parfois être obtenus à un prix très abordable, ce qui rend leur utilisation intéressante. Il faut cependant faire attention lorsque l’on utilise ces matériaux car ils contiennent souvent des métaux lourds comme le cadmium, le cuivre, le chrome, le nickel, le plomb, le mercure ou le zinc. De nombreux sols peuvent accepter une petite quantité de ces métaux et des quantités infimes de certains d’entre eux sont même nécessaires aux plantes et aux animaux. Mais si les ions de ces métaux s’accumulent dans le sol, ils peuvent devenir toxiques pour les  plantes. Les cendres de bois augmentent le pH du sol mais il n’est pas recommandé d’amender le sol avec de la cendre de bois provenant d’une source externe pour en accroître le pH. Le bois a normalement un ratio de potassium au calcium élevé de sorte que l’amendement de cendre de bois peut créer un déséquilibre entre ces deux nutriments dans le sol.  La cendre du bois poussant sur place est assez sûre. Par contre, mieux vaut utiliser avec parcimonie la cendre de bois provenant d’une source externe en tant que fertilisant de potassium plutôt qu’amendement calcaire.

Si le pH du sol n’est pas trop faible, il est possible de développer la fertilité du sol sans ajouter un amendement calcaire. En Amérique centrale, par exemple, la mucuna (pois mascate) a été utilisée en tant que culture intercalaire et engrais vert. Tel qu’indiqué ci- dessus, on considère généralement que les légumineuses sont des plantes acidifiantes parce que leur absorption d'éléments nutritifs cationiques et anioniques est déséquilibrée en raison de la fixation de nitrogène produite dans la structure même de la plante. L’absorption d’un surplus de cations se produit à travers l’échange d’ions d’hydrogène avec des cations du sol à la surface des racines. Il semble que cette action acidifiante ne se produit probablement pas lorsque la mucuna est utilisée. Buckles et al. (1998), par exemple, indique que le pH de sols a été maintenu et possiblement augmenté légèrement dans une rotation continue de mucuna et de maïs. Cela est peut-être causé par la grande quantité de matière sèche produite par cette légumineuse et les nutriments basiques que cette matière contient. Toutefois, la mucuna ne pousse pas bien dans les sols très acides dont le pH est de 4,5 ou moins de sorte que si le pH du sol est proche de ce niveau, il faut chauler le sol.

Que se Passe-t-il Lorsqu'un sol est Chaulé?

Comme le note McLean (1971), un certain nombre d’événements se produisent lorsque de la chaux est ajoutée à un sol acide. La plupart de ces événements se produisent simultanément. Peu importe la forme dans laquelle le calcium est ajouté au sol, en présence de dioxyde de carbone atmosphérique, celui-ci devient du carbonate de calcium (CaCO3) Par exemple,

CaO + CO2 = CaCO3 
ou
Ca(OH)2 + CO2 = CaCO3 + H2O

Dans les sols acides, le carbonate de calcium se dissocie :

CaCO3  + H2O = Ca2+ + HCO3- + OH-

et, 1) les ions d’hydrogène dans le sol sont neutralisés

OH- + H+ = H2O

2) la saturation basique5 s’accroît à mesure que le calcium (et le magnésium, si celui-ci est présent) remplace les ions d’hydrogène à la surface du sol,

2H-soil + Ca2+  = Ca-soil + 2H+

alors que les ions d’hydrogène sont neutralisé, tel qu’indiqué et qu’il en résulte une augmentation du pH et une modification des ratios de cations basiques absorbés (dans les particules du sol) et en solution. Ces deux résultats rendent habituellement le sol plus propice à la croissance des végétaux. 3) les ions d’aluminium fixés par des sites négatifs  à la surface des particules de sol sont déplacés dans la solution du sol et, avec les ions d’aluminium déjà présents dans la solution, sont retransformés en sesquioxydes à l’état solide [par exemple, Al(OH)3],

Al3+ + 3OH- = Al(OH)3

ce qui réduit la concentration d’aluminium en-dessous du niveau qui pourrait être toxique pour les plantes. À mesure que la quantité de sesquioxydes d’aluminium solides augmente, 4) la capacité du sol à tenir et à échanger les nutriments végétaux cationiques s'accroît. Inversement, 5) la capacité du sol à tenir et à échanger des anions, laquelle dépend du pH, diminue et force les anions comme le sulfate à se dissoudre dans la solution où ils sont plus facilement absorbés par les plantes ou lessivés hors du sol.

Plusieurs changements associés se produisent dans le sol alors que les réactions décrites ci-dessus ont cours. 6) L’augmentation du pH du sol a une incidence sur la solubilité des nutriments des plantes, rendant la plupart d'entre eux plus disponibles aux plantes tout en rendant quelques autres moins disponibles. 7) Les concentrations toxiques d’aluminium, de manganèse et possiblement d’autres substances sont neutralisées (ou autrement désactivées). 8) Le nitrogène devient habituellement plus disponible en raison de l'existence de conditions favorables à la fixation de l’azote6 et à la minéralisation de l'azote7 à partir des résidus de plantes. Finalement, 9) l’usure des minéraux primaires et secondaires sous l’effet de l’acide est réduite.

De plus, le chaulage peut avoir un effet sur les propriétés physiques et microbiennes du sol. La perméabilité du sol peut soit augmenter ou diminuer, selon la nature du sol auquel la chaux est ajoutée. En générale, l’augmentation de la teneur en calcium et du pH du sol stimule la croissance microbienne, ce qui a une incidence sur la disponibilité du nitrogène, tel que noté, ainsi que sur celle de certains autres nutriments. À l’inverse, la croissance microbienne accrue peut entraîner une perte plus rapide de matière organique dans le sol, ce qui est généralement considéré comme négatif.

Les Dangers de Surchaulage

Dans les régions tempérées, il y a peu de risques d'amender le sol avec trop de chaux, mais ce n’est pas le cas des sols tropicaux. En fait, mieux vaut considérer le chaulage de la plupart des sols tropicaux comme une fertilisation en calcium plutôt qu’une modification du pH, et le pH cible ne devrait probablement jamais dépasser environ 6,0, avec une cible idéale entre 5,0 et 5,5. Dans cette plage de pH, les concentrations d’aluminium et de manganèse dans la solution du sol sont substantiellement réduites et ces ions ne sont plus toxiques pour les plantes. Par contre, une augmentation plus importante du pH peut rendre le molybdène toxique. De plus, les plantes peuvent devenir déficientes en nutriments comme le cuivre, le zinc, le bore et le manganèse. Cela résulte de la solubilité réduite de ces nutriments lorsque le pH est élevé et à l’usure acide réduite des rares nutriments contenant des minéraux encore présents dans le sol.

Un des plus importants problèmes relatifs au surchaulage des sols tropicaux est probablement de nature physique plutôt que chimique. Tel que noté, la perméabilité du sol peut être affectée par le chaulage. Les taux d’infiltration élevés et le lessivage rapide des bases qui s'ensuivent dans de nombreux sols tropicaux sont causés par la structure très stable de ces sols, laquelle résulte de la tendance des oxydes de fer et d’aluminium à lier les particules du sol dans ce qui est appelé des agrégats. Le surchaulage peut causer une déstabilisation de cette structure laquelle, à son tour, a pour effet de briser les agrégats du sol et causer une perméabilité réduite et un drainage inadéquat. L’addition de calcium et de magnésium au sol– avec la chaux – a pour effet d’augmenter le nombre de petits agrégats au détriment des gros agrégats. Vraisemblablement, il s’agit d’agrégats stabilisés par des sesquioxydes (de Fe et d'Al) et brisés par le Ca2+. Comme les sols stabilisés par les sesquioxydes se trouvent généralement dans les tropiques humides, la perméabilité réduite, causée par la déstabilisation des agrégats, peut entrainer des sols gorgés d’eau et une transformation complète de l’écosystème.

Resume

L’acidification des sols comporte deux effets importants pour les plantes : la solubilisation de l’aluminium et la perte de nutriments cationiques dans le sol. Lorsque le pH des sols tropicaux est très acide, la toxicité de l’aluminium semble être le principal facteur limitant la croissance des plantes. Les réponses favorables des cultures au chaulage semblent être causées avant tout par la désactivation de l’aluminium. Ainsi, les sols tropicaux nécessitent en général seulement assez de chaux pour élever le pH à environ 5,5. Ce pH suffit pour désactiver l’aluminium et fournir suffisamment de calcium pour répondre aux besoins des cultures. L’élévation du pH du sol peut causer des carences de certains micronutriments et des effets physiques nuisibles comme la destruction d’agrégats du sol accompagnée d’une réduction de la perméabilité du sol. Il faut se rappeler, cependant, que chaque espèce de plante a sa propre tolérance à la  toxicité de l'aluminium ainsi que des besoins nutritionnels et un pH spécifiques pour une croissance optimale. De plus, les sols n’ont pas la même teneur en nutriments et peuvent contenir des ions potentiellement toxiques en solution peu importe leur pH. Pour déterminer la meilleure méthode pour modifier le pH dans un site donné, il est conseillé d’effectuer des essais à petite échelle de différents matériaux à diverses concentrations.

Conseils Pratiques

  1. Choisir des engrais qui contribuent peu ou pas d’acidité. Choisir le nitrate plutôt que l’ammonium comme source de nitrogène. Le sulfate d’ammonium, par exemple, est très acidifiant alors que le nitrate de calcium n'est pas acidifiant. Le phosphate monoacide d’ammonium et le triple super phosphate sont moins acidifiants que le phosphate d’ammonium diacide. La mucuna est moins acidifiante que d’autres sources légumineuses de matière organique.
  2. Appliquer les engrais organiques et inorganiques avec sagesse pour maintenir les nitrates dans la zone des racines de la culture et en se rappelant que l’absorption des anions de nitrate par la plante réduit l’échange d’ions d’hydrogène pour des cations basiques au niveau des racines. Éviter d’appliquer trop d'engrais, appliquer les engrais en deux temps au lieu d’une seule fois et/ou utiliser des engrais à libération lente.
  3. Réduire au minimum la perte de cations basiques par lessivage ou par ruissellement. Planter des cultures de couverture durant la saison morte. Sur les terrains en pente,  établir des barrières le long des contours pour prévenir le ruissellement.
  4. Utiliser des plantes non légumineuses dans le système agricole. Les herbes plantées autour des arbres légumineux en suivant le contour sur les terrains en pente aident à réduire l’érosion.
  5. Ajouter du calcium – sous n’importe quelle de ses multiples formes – aux sols acidifiés. Surveiller les réponses du pH du sol et/ou des plantes à ces matériaux de manière à éviter d'augmenter le pH à un niveau trop élevé.
  6. Planter des cultures qui tolèrent l’acidité et/ou l’aluminium. Le document « Nitrogen Fixing Tree Start-up Guide » comprend une liste d’espèces d’arbres qui tolèrent les sols acides. En général, n’importe quelle plante qui pousse bien dans les régions tropicales humides est assez tolérant de l’acidité

Bibliographie

Buckles, Daniel, Bernard Triomphe, and Gustave Sain. 1998. Cover Crops in Hillside Agriculture, Farmer Innovation with Mucuna. International Development Research Centre, Ottawa, Canada. 230 pp.

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McLean, E.O. 1971. Potentially beneficial effects from liming: chemical and physical. Soil Crop Sci. Soc. Fla. Proc. 31:189-196.

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Soares, Wilson, V. Edson Lobato, Enrique Gonzalez, and George C. Naderman, Jr. 1975. Liming soils of the Bazilian Cerrado. In Elemer Bornemisza and Alfredo Alvarado (Eds)  Soil Management in Tropical America. Proceedings of a Seminar at CIAT, Cali, Columbia, Feb 10-14, 1974. Soil Sci. Dept., NC State Univ., Raleigh, NC.

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Harter, R.D. 2002. Acid Soils of the Tropics. ECHO Technical Note no. 48.